Sergio et Zarah : « Ma perception du temps a beaucoup changé avec ce métier. »
C’est par une froide soirée de décembre que Zarah et Sergio m’accueillent aux Auffenais, un peu à l’écart du Minihic-sur-Rance (35). Nous arpentons leur terrain peu avant le crépuscule. Ils sont installés sur une parcelle de 5500 m2, sur d’anciennes pâtures. Une terre vivante, qui n’a jamais reçu de traitement, en lisière de bois.
Ce n’est pas forcément la meilleure saison pour mesurer la grande diversité de leurs cultures : beaucoup des planches qui structurent le jardin sont désormais au repos, la terre est entrée en hibernation… Mais ils ont le temps, en cette fin de journée, de me raconter leur manière de travailler, d’échanger longuement sur les techniques qu’ils mettent en œuvre, et l’organisation de leur exploitation. Si j’étais venue en août, admirer les plans de tomates croulant sous leurs fruits, les courges rampant partout, les dizaines d’autres cultures, les fleurs de Zarah, ils ne l’auraient peut-être pas eu, ce temps.
C’est justement sur le sujet du temps que j’avais envie de les écouter. Comme toutes les personnes qui cultivent la terre, ils vivent leur métier au rythme des saisons. Il y a un temps pour tout, et l’été est clairement la saison où les journées sont les plus longues et intenses pour les maraîchers. Au-delà de ce rythme imposé par la nature, la question du temps est aussi intimement liée à des choix de modèle économique, d’organisation, à des besoins personnels… C’est une question complexe, et quel meilleur moment que le temps suspendu de l’hiver pour se la poser !
Une micro-ferme sans mécanisation
Pour Zarah comme pour Sergio, le maraîchage est un choix professionnel récent. Après une première vie dans la restauration haut de gamme, où elle appréciait de travailler avec de beaux et bons produits, Zarah a ressenti le besoin de remonter la chaîne alimentaire, d’aller vers plus d’indépendance et d’autonomie. Sergio a quant à lui quitté la Sicile et son métier de guide de plongée sous-marine pour faire le choix de la terre. Leur démarche est le fruit d’une prise de conscience commune autour de la bio, de l’écologie et du bien-être. Le BPREA en poche, et plusieurs expériences inspirantes en woofing plus tard, les voilà installés en bord de Rance, en maraîchage « plus que bio » (ils ont fait le choix de ne pas se faire labelliser).
Aujourd’hui, ils font le bilan de leurs 4 premières années d’installation, riches en expérimentations et en apprentissages. Zarah raconte : « Le projet initial visait à être autonome, produire des aliments de qualité, contribuer à une dynamique locale, tout en respectant l’environnement. » Mission accomplie ! Ils se sont prouvé qu’un modèle de micro-ferme en maraîchage est viable. Un demi hectare pour deux, c’est quatre fois moins que la règle habituelle d’un maraîcher pour un hectare pour atteindre la rentabilité. Leur modèle diffère beaucoup de ce qui leur a été enseigné lors de leur formation. Leur terrain ne leur coûte pas cher à la location, ils n’ont pas contracté de crédit bancaire et investissent en outils manuels au fil de l’eau pour gagner en efficacité. L’exploitation n’est pas mécanisée, à l’exception d’un motoculteur utilisé en amont des semis directs. L’inconvénient du travail à la main, c’est tout le temps passé à l’entretien des cultures : désherbage, arrosage… Quand on leur demande ce qui leur prend trop de temps, l’entretien arrive en pôle position !
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« Pour passer en maraîchage sur sol vivant, l’année dernière j’ai eu peur car j’ai énormément embauché. Mais à la fin de l’année mon bilan était mieux que l’année où j’avais utilisé plus de pétrole et de plastique. Par contre là j’ai plus embauché. C’est beaucoup mieux. C’est de la redistribution. »
Prise de conscience
Côté distribution, Zarah et Sergio ont fait le choix de la vente en direct, avec un marché chacun par semaine, quelques paniers à la ferme, et une AMAP. « Nous pratiquons la distribution en direct sur les marchés pour rencontrer les gens, leur expliquer notre façon de faire. Ça a pris du temps de fidéliser une clientèle, mais maintenant elle est là, et nos clients ont confiance en nous. » explique Zarah. Ces modes de commercialisation leur demandent beaucoup de temps et d’énergie, et sont assez longs à mettre en place. Mais c’est un choix essentiel dans leur modèle économique, sans oublier la dimension humaine que cela comporte. D’ailleurs, c’est ainsi que nous nous connaissons : je me régale de leurs légumes au travers de l’AMAP de mon village.
Le projet pourrait être développé, mais Zarah et Sergio sont attentifs à respecter leur condition physique. Et puis, produire plus, quand on a à coeur de ne rien gâcher, cela signifie aussi passer du temps à écouler la production… Ils ont déjà agrandi il y a deux ans, et sont depuis débordés en période estivale. En septembre dernier, Zarah a vraiment senti qu’elle atteignait ses limites physiques. Tous deux ont pour la première fois véritablement pris conscience qu’il fallait qu’ils se préservent du temps pour eux. « Le temps que ça allait nous prendre ? On savait, en voyant les autres, que ça allait être difficile physiquement, mais on ne savait pas à quoi s’attendre en vrai. Au début, t’as l’enthousiasme ! Le temps n’existe pas dans cette période d’installation. » précise Sergio.
Alors plutôt que de produire plus, peut-être faudrait-il produire moins ? Ou s’outiller davantage ? Et aussi savoir s’accorder des week-ends et quelques jours de vacances à la belle saison, même si cela signifie manquer quelques récoltes ? Ils sont en pleine réflexion, pour tirer les leçons de la saison passée avant de se projeter dans la suivante.
L’hiver au rythme de la saison
En hiver, il est bien plus facile de s’accorder du temps pour soi qu’en été ! « Je pourrais être 24h sur 24 à essayer des techniques, voir comment ça se passe, poussé par l’envie de faire mieux, toujours. Personne ne va me dire : écoute, tu as beaucoup travaillé, il faut que tu te reposes. Personne ne va me le dire, si c’est pas moi-même. » explique Sergio. Pas toujours facile d’écouter les signaux du corps… Quand on a mis tant de cœur à l’ouvrage depuis les semis, quand on a entretenu les cultures pendant de longs mois, on a bien envie d’aller au bout de toutes les récoltes… en prenant le risque de terminer à bout de forces.
Alors ce temps d’hiver, au rythme tellement plus doux, ils savent le savourer, ralentir pour se ressourcer. Zarah et Sergio se sentent en phase avec la terre. Sergio raconte : « Ma perception du temps a beaucoup changé avec ce métier. En mars, je sens que ça commence à bouger, j’ai envie d’être sur le terrain… Et après l’été, je ressens un déclin évident. Peut-être parce qu’on travaille directement avec la nature, qu’on l’écoute plus…».
Ils n’éprouvent aucune culpabilité à vivre ce temps reposant pleinement. En ce moment, l’entretien des cultures en serres représente une journée par semaine, ils font quelques réparations, un peu de désherbage, des boutures, couvrent les planches de bâches tissées, font quelques récoltes et les commercialisent. Les semences récoltées sont prêtes pour les semis de printemps, Zarah transforme des produits, l’un de ses grands plaisirs. D’octobre jusqu’à mi-mars, ils travaillent à mi-temps, et s’accordent de longs week-ends. L’une des activités fondamentales qui se déroule en hiver, c’est le travail sur l’assolement, le planning de la saison. Et ça, c’est le domaine de Sergio. Tout est pensé, et c’est à partir de ce cadre précis qu’il sera possible d’improviser à certains moments, et de s’adapter à la météo ou aux divers aléas de la saison.
Cultiver un équilibre précieux
En fait, Zarah et Sergio ont deux rapports au temps complémentaires : Sergio organise le temps, et Zarah sait dire stop et est à l’écoute des limites. Ils cultivent un équilibre précieux entre un vécu physique de l’instant présent, en phase avec leur environnement, à observer la biodiversité, la vie du sol (c’est l’avantage de travailler à la main et non sur un tracteur !) et en même temps l’esprit tourné vers le futur proche : Sergio a toujours 4 à 6 semaines d’avance, il se projette en permanence sur la culture suivante, anticipe les résultats, les soucis potentiels et les solutions adaptées… Zarah précise : « Tout est calculé parce qu’on doit être efficaces pour pouvoir prendre le temps de regarder tout ce qui se passe, d’observer la vie… ».
Peu de temps après notre discussion, Zarah m’a confié que cette question du temps avait cheminé dans leurs esprits et qu’ils avaient déjà fait des choix pour être plus alignés avec ce qui est bon pour eux. Alors, maraîchères, maraîchers, et si vous preniez un temps, cet hiver, pour penser à votre rapport au temps ? Comme le dit si bien Zarah, l’hiver « c’est le moment dans l’année où on peut prendre le temps de rêver ! »
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