[Vidéo] Terre de l’O : « Ce qui va être utile à une femme va être utile à un homme »
Retour à la terre
Virginie Roussel nous accueille dans sa ferme de Guipry Messac, au bord de la Vilaine, à 40 km de Rennes, où elle est installée en tant que maraîchère depuis 2019. L’histoire est belle : Virginie a eu l’opportunité d’acheter la maison dans laquelle ses parents étaient locataires quand elle était enfant. Eux étaient agriculteurs en lait mais Virginie avait choisi une autre voie.
En 2013, elle quitte la région parisienne et son métier d’informaticienne à la suite d’un burn out. Les questions existentielles qui en ont découlé l’ont amenée à ce retour à la terre. Elle a opéré sa reconversion en 2016. Ce métier, elle l’a choisi parce qu’il est plein de sens, et qu’il lui permet de se réapproprier la chaîne de l’alimentation de A à Z. Avant de s’installer, elle a fait un BPREA maraîchage bio en région parisienne. Et multiplié les stages dans des fermes plus ou moins proches du modèle auquel elle aspirait, ce qui lui a permis de préciser son projet.
Je désherbais des carottes quand je me suis dit « c’est ça que je veux faire ».
Si Virginie possède la maison et les 500 m2 de hangars que compte la ferme, les terres qui entourent la maison sont en fermage. Sa ferme s’étend sur un peu moins de 10 hectares de terres, dont 5000 m2 en maraîchage. Le reste est consacré à du foin vendu à des agriculteurs bio. Sur le demi hectare consacré à l’activité maraîchère, 2000 m2 sont actuellement réellement en production légumière, dont 800 m2 sous abri froid, le reste en plein champ. Virginie Roussel est encore en phase d’installation mais elle pense doubler la surface de tunnel froid d’ici 2 ou 3 ans, pour atteindre presque 1 hectare cultivé en maraîchage au total.
Incarner ses valeurs sans sacrifier sa valeur
Même si le métier est porteur de sens pour Virginie, elle était dès le départ très lucide sur les difficultés économiques de beaucoup de collègues qui travaillent d’arrache pied en produisant de grandes quantités de légumes, pour des revenus modestes. Ayant connu le salariat, elle s’est tout suite posé la question suivante : “Comment faire pour gagner ma vie décemment en travaillant 40 heures par semaine ?”
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« J’aime bien ce métier donc je veux durer longtemps ! Quand je suis fatigué, je m’arrête. La planche de carottes que je fais en 20 minutes quand je suis fatigué, je la ferai en 7 minutes demain matin. »
Sa stratégie ? La différenciation.
Virginie Roussel fait le pari des produits de niche. Elle propose un complément de gamme par rapport à la production en maraîchage diversifié, permettant de diversifier les assiettes avec des produits plus exotiques et originaux.
Passionnée d’épices en cuisine, elle a eu l’idée d’expérimenter une dizaine d’espèces de légumes et d’épices pas ou peu cultivées chez nous, mais tout de même assez rustiques (non gélives). Le climat breton est plutôt favorable à ces cultures, avec des hivers très doux, et des chaleurs estivales qui ne durent pas.
En général quand on me dit que ça ne marche pas, je me dis “je vais quand même essayer”.
Un certain nombre de cultures ont passé le test haut la main : ail, piments, physalis, poire de terre, patate douce, maïs pop corn et doux (à griller), petits pois, oca du Pérou, topinambours… Et la liste continue de s’allonger : curcuma, gingembre et cacahuètes sont actuellement à l’essai ! L’audace est payante, car ces produits considérés comme exotiques lui permettent de générer un chiffre d’affaires à la hauteur de ses attentes.
Terre de l’O est une ferme en agriculture biologique. Un label qui comporte certains avantages, mais qui pourrait aller plus loin selon Virginie Roussel :
“Le label bio permet à nos produits d’être facilement identifiables comme des produits qui respectent l’environnement, qui sont sans pesticides, avec un respect de la nature. Et ça facilite la vente : les gens ont tout de suite une idée de comment on fonctionne. C’est un gage pour entrer sur certains marchés comme les Biocoop, surtout quand on ne vend pas à la ferme. Mais ça a aussi des travers. On paie ce label : on investit de l’argent pour prouver qu’on travaille correctement, à l’inverse de nos collègues en conventionnel, qui eux n’ont pas besoin de payer pour mettre des pesticides. Et le label n’est pas forcément complet car il ne prend pas en compte le volet social : comment on est avec nos salariés, nos associés…”
De l’expérimentation dans les champs au test dans l’assiette !
Côté distribution, la maraîchère a opté pour les étals de quelques points de vente à Rennes et ses alentours : magasins bio, supermarché coopératif, coopérative de producteurs, petite épicerie… Si elle n’exclut pas la vente directe, elle en connaît le côté énergivore, surtout au démarrage. Pour le moment, elle préfère consacrer son énergie à la maîtrise des itinéraires techniques et à la recherche & développement. Elle a donc fait le choix de réseaux de distribution faciles à mettre en place avec peu d’investissement, d’autant plus que, de par la nature de ses produits, sa clientèle est essentiellement rennaise… bien que les locaux s’y intéressent de plus en plus ! Alors, à terme, une boutique à la ferme, proposant aussi les produits d’autres producteurs ? Pourquoi pas !
Bien sûr, convaincre les consommateurs de laisser leur chance à de nouveaux produits nécessite toujours un peu de pédagogie. Mais cela tombe bien : Virginie Roussel aime faire de l’animation en magasin, échanger sur ce qu’elle fait et parler de ses produits. De son propre aveu, il faut parfois forcer un peu la main des clients pour les faire goûter ! Elle leur propose d’essayer et de revenir lui dire s’ils ont aimé. Et ça marche ! Poire de terre, physalis, des cultures relativement méconnues en Bretagne, dont elle augmente la production chaque année.
“Il y a de plus en plus de gens qui veulent tester, pour épater leurs copains ou leur famille quand ils font des repas, et après ça plaît, et ça rentre plus dans leur quotidien. Par exemple pour les poires de terre : maintenant les gens reviennent en disant qu’ils ont essayé de nouvelles recettes…”
Prendre soin les un•es des autres
Pour Virginie Roussel, toute personne qui passe du temps à travailler dans une ferme doit avoir un statut et être reconnue. Il arrive à son mari de donner un coup de main pour certains travaux où il faut être plusieurs : il est déclaré en tant que conjoint collaborateur, afin de cotiser pour la retraite sur ce temps de travail, et de bénéficier d’une protection en cas d’accident. Ce statut permet un minimum de reconnaissance, mais il ne peut pas durer plus de 5 ans. Malheureusement, derrière ce statut se cachent encore souvent des temps pleins, effectués par des femmes, pas forcément rémunérées. En tant que cheffe d’exploitation, ayant une salariée, elle est particulièrement attentive à la place des femmes dans le milieu agricole.
Lors de son parcours d’installation, elle avait bénéficié de l’accompagnement du groupement d’agriculteurs biologiques Agrobio 35. Depuis 2018, elle en est devenue administratrice, afin d’accompagner à son tour des porteurs de projets locaux. Elle y passe environ 1 jour par semaine, ce qui est l’occasion de sortir de la ferme, d’échanger avec des collègues, et d’apprendre les un•es des autres.
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Maraîchage et entraide : la force du réseau
On a parfois cette image du maraîcher et de la maraîchère solitaires. Ce serait oublier qu’une entreprise fonctionne avec ce qui l’entoure.Une personne qui démarre son exploitation a la possibilité de nouer de nombreux liens. Cela contribuera à bien lancer son activité en limitant les erreurs et en se lançant plus sereinement.
“C’est là que j’ai découvert la sociocratie, un mode de gouvernance assez particulier. Une personne égale une voix, on a tous le même temps de parole. Chaque décision est prise par consentement : il faut que tout le monde soit à l’aise avec une décision. Si une personne ne peut pas “vivre avec”, la proposition doit être modifiée.”
Entrer dans la gouvernance de ce type d’organisation, en tant que femme, permet de pousser des décisions ayant un impact positif sur les agricultrices. Avec une parité à 50/50 au Conseil d’Administration et au bureau de l’association, les discussions sont plus riches, les points de vue plus variés, au bénéfice du collectif.
Une commission “place des femmes” a d’ailleurs été créée en 2019 au sein d’Agrobio 35. Les agricultrices y travaillent sur les modes de gouvernance mis en place dans les différentes GAB, elles participent à des groupes d’échanges entre femmes, et à des formations non mixtes, comme par exemple un cours de conduite de tracteur, animés par des femmes pour des femmes.
“On prend de l’assurance. C’est pas l’idée de vouloir être qu’entre femmes, mais on est plus en confiance, sans avoir peur des critiques masculines.”
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Être maraîchère aujourd’hui en France
Quand on propose aux maraîchères de prendre la parole, elles se saisissent de l’occasion. Pour elles, c’est la possibilité de s’exprimer sur des sujets qui leur tiennent à cœur, qui les animent au quotidien dans leur métier. Elles posent un regard affuté sur un métier en plein évolution.
Être agricultrice, c’est aussi devoir travailler avec de l’outillage peu ergonomique. En effet, la plupart des outils sont standardisés, pas adaptables à la taille et au poids de l’utilisateur. Virginie Roussel nous cite l’exemple d’une agricultrice qui, en raison de graves problèmes de dos, a développé un outillage permettant de travailler allongé en maraîchage.
“Quand on est une femme de moins d’1 m 70, les outils n’ont pas la bonne longueur de manche : on doit les couper ou fabriquer les manches. Si on a des outils qui permettent d’alléger la force qu’on doit mettre dans le geste : ce sera utile à tout le monde, y compris les hommes”.
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