[Vidéo] Le Vieux Hangar : “La ferme est créatrice de lien”
Des légumes et des moutons
Nous sommes accueillis sur la ferme par Aude et Jules, leurs chiens et leurs moutons qui viennent de rejoindre la bergerie pour quelques jours. C’est vendredi, jour de vente à la ferme au Vieux Hangar. En cette fin d’été, deux employées travaillent à la récolte.
Jules Wagner s’est installé en tant que maraîcher bio et éleveur ovin au Vieux Hangar en septembre 2016, et Aude Le Bihan l’a rejoint milieu 2018. L’exploitation fait 32 hectares, dont 2 hectares dédiés au maraîchage.
Aude a fait une école d’ingénieure en agriculture. Dans le milieu professionnel, elle a toujours travaillé dans le monde des légumes ou des fleurs, plutôt sur la partie marketing. Et puis petit à petit, elle a évolué avec l’objectif de revenir plutôt sur l’amont de la filière, avoir les deux mains dans la terre et pouvoir en vivre. Jules a arrêté plus tôt l’école pour partir en cuisine en apprentissage. Après 11 ans de cuisine, il décide de changer de voie. En arrivant sur Nantes, il est allé travailler sur le MIN de Nantes dans les fruits et légumes, où il a rencontré Aude. Ils sont partis en voyage faire un tour du monde en vélo ! Ils sont revenus en France avec ce projet de monter la ferme.
Au commencement était le réseau
Lorsqu’ils ont cherché à s’installer, ça n’ a pas été facile de trouver une exploitation. Voulant revenir sur la Loire Atlantique, ils ont commencé à chercher sur le département. Ils avaient trouvé une exploitation du côté de Châteaubriant, mais au final la transmission avec l’ancien exploitant ne s’est pas bien passée.
“Donc on s’est un peu retrouvés avec le bec dans l’eau. Là c’est un peu la route du désert. Vu que c’est dur de trouver une exploitation, quand t’en as trouvé une et que tu la perds, c’est un gros coup dur. On est repartis à zéro.”
Leur chance, c’est d’avoir un ami maraîcher dans le coin, François Degrelle. Il leur parle de la ferme du Vieux Hangar, qui est disponible. En fait, la ferme est à l’abandon, en friche. Aude et Jules hésitent. Mais le coup de cœur est là pour le paysage, l’environnement de bocage. Ils prennent une semaine de vacances où ils travaillent 7 jours sur 7 pour faire une étude économique de la ferme et s’imaginer au quotidien dans cette exploitation. A la fin de la semaine, ils décident de tenter le coup.
La difficulté des premières ventes
Jules se lance sur 30 hectares pour 80 brebis. Ils montent 3 serres la première année, qui faisaient 900 m2, et un hectare de plein champ.
Les ventes n’ont pas démarré facilement. Au départ, Le Vieux Hangar commence à commercialiser sa production via une personne du coin qui a lancé un site de vente en ligne pour producteurs locaux : Made in Couëron. Jules avait aussi trouvé un tout petit marché du soir, de 5-6 artisans, qui s’était libéré à Bouguenais.
Leur grande problématique : ils n’avaient pas de ventes pour l’été. Aude nous explique la situation : “C’est le gros désavantage des grosses villes : Nantes l’été il n’y a plus personne. Donc l’été, alors que toi t’as toutes tes tomates, toutes tes serres qui sont remplies, les gens ne sont pas là. Donc soit tu as un marché sur la côte, avec toute la région parisienne qui débarque, les vacanciers, et Nantes qui va là-bas, donc une clientèle et ça vaut vraiment le coup. Soit t’as pas de débouchés.”
Il n’y a plus de place sur les marchés. Jules décide alors de chercher les campings, pour leur proposer de faire un marché sur place le soir. Jules expérimente cette vente pendant un mois et demi, sans succès : “Je faisais à peine 150€ par soir, c’était la misère, ça n’a pas pris”.
Se faire connaître : le réseau de nouveau en appui
L’enjeu est vraiment de faire connaître son exploitation et ses produits pour développer ses ventes. “En fait c’est fou parce que les gens ils recherchent des légumes comme chez les grand-parents, des légumes en agriculture biologique. Sauf qu’il faut se faire connaître au départ. Une fois qu’on a commencé à se faire connaître, petit à petit c’est allé.”
Une fois de plus, leur ami François le maraîcher est là en soutien. “Pour lui c’était un gros pari de nous dire venez vous installer à 5 km de chez moi.” François était déjà connu dans le secteur, et ses ventes déjà complètes. Aussi, lorsqu’il avait des appels d’acheteurs qui recherchaient un maraîcher pour leur business, il les envoyait directement chez Jules qui venait de s’installer. “C’est grâce à lui qu’on a pu rentrer dans ce réseau là et trouver nos axes de vente.”
Une charge de travail très importante
Voyant que les ventes grandissaient tranquillement, que techniquement ils se débrouillaient, la production augmentait également petit à petit. Très vite, Aude en a marre de son boulot. Avec en tête ce le projet de vie, qui a toujours été d’être tous les deux, en couple. Aude s’associe donc à la ferme. C’est alors qu’ils ont eu l’ opportunité de récupérer une AMAP. Faire 50 paniers par semaine représente à ce moment-là un sacré challenge en termes de cultures et d’organisation. “Bon on a toujours relevé les challenges. C’était culotté parce qu’on n’est pas du tout sûr de pouvoir les faire, honnêtement. On a dit OK on y va, pas de problème, on se débrouillera. Et au final c’est passé.
Il a fallu investir tout de suite. Ainsi, 2 ans après le début de l’exploitation, ils montent une nouvelle serre pour l’installation de Aude et répondre à la demande de l’AMAP. Une troisième serre est montée en 2019.
“C’était notre objectif. Il faut qu’on puisse se dégager un salaire tous les deux. On a la maison, un crédit, on avait envie de vivre convenablement donc l’objectif c’était de se sortir un salaire chacun.”
Deux années épuisantes
Pour atteindre cet objectif, ils se donnent tous les deux du mal les premières années. Jules nous raconte : “Moi la première année, je me levais à 5 heure en plein été, je me couchais à 22h le soir. On n’avait pas les moyens d’avoir des rampes d’irrigation. Je me rappelle qu’on avait fini de fermer des rampes d’irrigation à 23h le soir. On couchait notre fille et on revenait dans le champ pour déplacer des vannes. Et ça au départ c’était presque 7 jours sur 7 pendant l’été.” Leur situation est d’autant plus tendue que l’exploitation connaît la sécheresse sur les deux premières années. Aude nous partage ses nuits blanches à regarder la météo pour trouver le moment optimal où monter la serre, sur ce terrain extrêmement venteux, avant l’arrivée des tempêtes.
Jules met en garde les personnes qui souhaitent s’installer : “Au départ il y a une charge de travail très importante, et on ne le met pas assez en évidence. On a des jeunes stagiaires qui arrivent, qui croient que c’est 35 heures et basta. Ça marche pas comme ça. Tu travailles avec la nature. Il y a des moments où il faut être au taquet pendant 3 jours, 15 heures par jour, et en hiver ce sera plus calme. Parfois j’ai l’impression qu’on ne s’en rend pas assez compte de ça”.
La qualité de vie au travail en question
La ferme a employé un salarié à partir de la 2ème année, la charge de travail en été devenant trop importante. “En fait ça ne nous a pas vraiment soulagés en temps de travail, ça nous a surtout permis d’avoir une qualité de travail qui était un peu meilleure. Et au niveau des légumes on le ressentait aussi.” Progressivement le temps de travail du salarié a augmenté. 2-3 mois la première année, 4-5 mois la deuxième, et maintenant Jules et Aude commencent à penser à annualiser le temps de travail : plein temps pour l’été et peut-être un mi-temps pour l’hiver. Une deuxième personne est venue en renfort en saison cet été.
“C’est plaisant de savoir qu’un hectare et demi, sur le mois d’août, fait vivre 4 personnes.”
En employant des salariés, l’idée est aussi de pouvoir se dégager du temps pour un repos bien nécessaire. Jules ne voulait pas reproduire le schéma de ses parents, agriculteurs en vaches laitières, qui n’ont eu ni vacances ni week-ends pendant 10 ans.
“Je trouve que c’est une fierté un peu personnelle maintenant, d’avoir un salarié, et qu’on puisse se permettre d’avoir des vacances. »
Ils n’ont pris aucune vacances les 2 premières années. “La première semaine où on a pris des vacances, c’était magique tellement on en avait besoin”. Aude et Jules ont aujourd’hui environ 4 semaines par an et peuvent “se permettre de partir des week-ends”.
Aude nous fait remarquer que, s’il y a beaucoup d’avantages à travailler en couple, cela implique que les deux dirigeants sont absents en même temps sur les temps de congés ! Le fait d’avoir pris une salariée supplémentaire en saison cette année leur a même permis de réaliser ce nouvel objectif : avoir 15 jours de vacances en été. “Parce que c’est important pour la vie de famille”.
Jules pense aussi à la préservation de la santé. Il aimerait beaucoup faire évoluer la ferme mécaniquement pour soulager le travail physique.
Se former sur le terrain
Lorsqu’ils ont acquis la ferme, ni Aude ni Jules n’avaient de formation technique en maraîchage. Avec ce projet en tête, Aude choisit d’aller travailler 2 ans comme maraîchère dans un GAEC en Côtes d’Armor : Le Jardin des Salines. Elle nous partage toute sa gratitude pour cette ferme qui lui a fait découvrir toutes les facettes du métier, de A à Z. Cette ressource les a énormément aidés la première année, Jules ayant peu d’expérience en maraîchage.
Avec le recul, Aude et Jules considèrent que c’est une chance d’avoir manqué leur première opportunité d’avoir une ferme. “C’est un peu comme si on avait redoublés. ” “On serait allés dans le mur parce qu’on avait pas l’expérience »
La force du réseau au quotidien
La ferme “Le Vieux Hangar” se trouve dans la région que l’on appelle le Pays de Retz. Quelques maraîchers installés dans le secteur depuis une douzaine d’années s’étaient fédérés de manière informelle, sans association, ni coopérative. Leur objectif était de discuter ensemble sur leurs problématiques (ventes, cultures, etc.), grouper les achats ou se prêter le matériel. Ils ont même créé une banque de travail, qui permet des échanges d’heures entre maraîchers. Chaque année le groupe s’agrandit au fil des nouvelles installations. Aujourd’hui, ce réseau regroupe une vingtaine d’exploitants, dont Jules et Aude.
Ce groupe d’entraide bienveillant est pour eux une ressource inestimable. Notamment lorsqu’ils avaient des chantiers collectifs (par exemple au montage d’une serre) à la création de la ferme, mais pas les connexions en local pour trouver du monde pour les aider. Mais aussi au moment de passer des commandes quand on ne connaît pas encore les fournisseurs de plants ou de matériel.
“C’est vraiment une grande force car tout le monde trouve sa place. On est pas en concurrence, on est confrères”.
Aude ne tarit pas d’éloges sur ce réseau, tellement précieux à l’installation : “C’est une source de relations, d’entraide, de main d’œuvre, y a tout ce qu’il faut !” C’est d’autant plus précieux lorsque des maraîchères ou maraîchers s’installent dans un terroir qu’ils ne connaissent pas.
Jules ajoute que ce réseau peut même être utile commercialement. En effet, en cas de surplus ou au contraire de production décevante, les maraîchers vont pouvoir fournir ou acquérir leurs produits chez les “voisins”dont ils connaissent les convictions et modes de production. C’est pour eux préférable à vendre chez un grossiste en perdant sur le prix de vente.
La ferme, créatrice de lien
Aujourd’hui, le Vieux Hangar commercialise auprès d’une AMAP, d’une vente sur internet, et sur un marché sur la ferme. Le marché en ville a été arrêté pour pouvoir venir le faire sur la ferme, au Pellerin. “En termes de confort de travail, ya pas photo, ça a que des avantages : tu remplis pas le camion, en terme d’heures de travail t’es à la maison (nous en plus la maison est à côté).”
Recréer du lien dans le village
Avec cette nouvelle proximité, Aude et Jules en profitent pour rendre l’expérience conviviale. Les animaux sont aussi l’occasion de créer du lien. Jules nous partage une anecdote : “Quand les premiers clients sont arrivés, je venais tout juste de vider la bergerie, il y avait un gros tas de fumier horrible. On a fait un petit côté humoristique : on a écrit “meilleur repas de nos légumes”. Cette proximité permet une plus grande fraîcheur des produits, mais un lieu d’expérience pour les acheteurs. “Les petits gamins qui aiment le tracteur, ils vont au tracteur”. C’est aussi une opportunité de créer toute une communauté autour de la ferme. Pendant l’hiver, les gens sont conviés à se retrouver autour d’un vin chaud, le voisin vient jouer de l’accordéon autour du brasero. En période post confinement, ces moments de convivialité étaient précieux. “Et ça moi c’est ce que j’aime dans tout ce qu’on crée”, nous affirme Aude.
Elle s’est sentie plutôt bien accueillie par les gens du coin. Même si au départ il y a toujours des inquiétudes autour des nouveaux arrivants, sur leur approche du travail à la ferme.
“On a fait nos preuves, et en fait on s’est rendus compte que la ferme était un lien. C’était le lieu qui créait le lien dans le village en fait. Les gens sont venus nous aider.”
En effet, au départ, la ferme était en friche, et des voisins venaient offrir quelques heures de leur temps pour venir aider à désherber. “On sent qu’on a créé une cohésion, on a recréé quelque chose et les gens étaient contents que cette ferme là revive.” C’est également dans cet esprit que la ferme accueille régulièrement des personnes en woofing.
Aude nous exprime son soulagement de se sentir si bien entourée : “On dit parfois que les agriculteurs sont isolés. Moi franchement c’était ma peur, de me sentir isolée dans ce métier là. En fait c’est toi qui crée ton environnement, la ferme reflète notre personnalité en fait. Tout ce qu’on a créé autour : le woofing, cette vente à la ferme qui fait qu’il y a du monde qui vient, qu’on fasse un petit concert, qu’il y ait d’autres producteurs qui viennent vendre leurs trucs, voilà ça crée tout un petit cosmos et moi je sui contente de ça en fait, de ce résultat là.”
Créer du lien entre les agricultures
Au-delà de créer du lien entre les habitants de la commune, Aude a aussi souhaité cette ferme comme vecteur de lien entre agriculteurs.
Du fait d’être éleveurs de moutons, ils ont pu ainsi tout de suite être mis en connexion avec les autres éleveurs du territoire. Eux ne sont pas en agriculture biologique, mais partagent les mêmes problématiques liées à l’élevage (lactation, naissances, fourrage, …). Cela leur permet de faire découvrir aux autres agriculteurs le métier de maraîcher diversifié, souvent mal considéré dans la profession. “Ils voient qu’il y a de la technique, du savoir-faire, que c’est un vrai métier quoi !”
Aude souhaite un décloisonnement entre agriculteurs, qui permet d’éviter l’entre-soi. Au-delà des clivages, entre élevages et maraîchage, entre bio et conventionnel, “on a tous le même intérêt à préserver la nature”.
C’est dans cet esprit que la ferme reçoit régulièrement des stagiaires. Issus de formations agricoles “classiques” (MFR, lycées agricoles, …), ils doivent réaliser une semaine de stage en agriculture biologique diversifiée ou vente directe. Pour Aude et Jules, c’est l’occasion rêvée de créer des passerelles. De montrer que le maraîchage biologique, ce n’est pas juste “des bouinous avec 3 patates”.
Agriculteur : un métier essentiel
« Agriculteur c’est un métier hyper complet, peut-être celui qui demande le plus de compétences. Tu dois faire de la comptabilité, de la gestion, de la mécanique, de l’agronomie, t’es aussi scientifique. C’est un métier global. Et comme tu es en rapport avec la nature, c’est un paramètre qui bouge tout le temps. »
Aude regrette que malgré la grande technicité et polyvalence de ce métier, il ne soit pas plus reconnu. Notamment au moment de la retraite. « Alors que t’es un vrai chef d’entreprise ! »
Cela les contrarie d’autant plus avec le rôle qu’à l’agriculture à jouer dans les changements climatiques. Et les difficultés que ces mêmes changements impliquent pour leur activité. « L’agriculteur a un rôle qu’est énorme. Il préserve la nature et le paysage. C’est bien l’agriculteur qui arrive à voir qu’au final, tout est connecté. »
Un sentiment de gratitude
« On s’est donné du mal, mais on se dit quand même qu’on a vraiment eu de la chance : ce voisinage, cet emplacement, ce réseau, … C’est l’idéal. »
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