[Vidéo] Ferme du Fessiou : “Mon objectif, c’est un maximum d’autonomie”
Permaculture en Finistère Nord
Florent Palicot nous accueille dans sa Ferme du Fessiou à La Forest-Landerneau (Finistère). Pendant qu’il nous accorde du temps pour la visite de l’exploitation, ses trois salariés sont à l’ouvrage.
Florent s’est lancé en tant que maraîcher en 2007, d’abord en GAEC avec un associé, puis en entreprise individuelle. Sur 6 hectares de SAU (Surface agricole utilisée), il cultive 3 hectares en plein champ et 200m² de serres (abris froids). Sur le terrain se trouve également une parcelle de luzerne (utilisée pour le paillage). La zone ayant échappé au remembrement, la ferme peut profiter d’un bois qui protège le terrain de la pollution et permet de conserver une zone humide.
Le Fessiou est une ferme en maraîchage diversifié et vente directe. Environ 70 légumes et 250 variétés sont cultivées ici. « Tout ce qu’on peut produire dans le Finistère, qui est une région où on peut quand même faire pas mal de diversité sur le légume ! » Les serres sont en maraîchage sur sol vivant depuis 2 ans. Florent emploie aujourd’hui trois salariés temps plein en saison.
De l’engagement écologique …
Florent n’est pas issu du milieu agricole. Le Fessiou n’est pas une ferme de famille. Avant l’interview, il nous évoque la difficulté qu’il a rencontré pour trouver une exploitation. L’accès à la terre est une problématique récurrente pour les candidats à l’installation.
Quand il a fait son BTS en formation maraîchage, à l’époque, il n’y avait pas de formation en bio. Les quelques-uns qui souhaitaient s’installer comme maraîchers bio étaient moqués par leurs pairs. Ça ne décourage pas Florent. « Ça me paraissait de toute façon logique, la question environnementale me souciait déjà ». Et l’envie d’être son propre patron, de faire quelque chose qui avait du sens. Avoir le sentiment d’agir pour la société.
… au maraîchage sur sol vivant
Florent a longtemps pratiqué un maraîchage bio classique : bâches, travail du sol, … Mais quelque chose le gêne : les quantités de plastique jetées chaque année, le tracteur qu’il utilise tout le temps… « Parce que bon, si on avait le choix, avoir le bruit d’un tracteur c’est pas très agréable on éviterait ». Il s’interroge.
Il commence alors à experimenter le maraîchage sur sol vivant avec le GAB (groupement des agriculteurs biologiques), pendant 2-3 ans. Par ce biais, il rencontre des collègues qui étaient déjà dans des démarches de permaculture. Il y a 5 ans, il fait donc ses premiers essais sur butte avec une couverture de compost et de foin. Il y a quelques problèmes techniques à régler sur pas mal de choses, en particulier l’arrosage. Mais l’équipe trouve que c’est beaucoup plus agréable à travailler, et plus joli. « On avait plus de goût à aller y travailler avec ça ».
Un ecosystème dans les serres
Au bout de 2-3 ans, ils réalisent que dans les serres où ils travaillent en msv, une sorte d’écosystème se met en place. « Il y a 3 ans on avait fait un essai : on avait une moitié de serres en aubergines sur sol vivant, et l’autre moitié sur plastique. Tout planté en même temps, tout pareil, les mêmes variétés. La variété qui était en travail du sol sous plastique a été attaquée par des doryphores, et on a rien eu à faire sur l’autre série. Du coup on a passé il y a deux ans tout sans travail du sol. Et moi c’est la première année où j’ai très peu de mildiou sur la tomate, et zéro pucerons. Donc je suis pas encore sûr, on peut pas valider au bout de 2 ans, on est en agricole, on validera dans 10 ou 15 ans, mais moi je pense qu’il y a une sorte d’équilibre, d’écosystème qui se fait et que tout le monde arrive à s’en tirer mieux. Et on perd pas sur les rendements ! Par contre sur certains produits on gagne énormément en qualité. »
Dans les serres, des fleurs colorées cohabitent avec les plants de légumes. Florent nous explique qu’elles ont été plantées pour pouvoir composer des bouquets pour la vente. Mais il y a deux mois, ils se sont aperçus que les coccinelles et leurs larves pullulaient sur les fleurs. « Donc du coup cette année ça nous a permis de ne pas acheter d’auxiliaires : on ramasse et on met dans les autres serres. »
En revanche, des fruitiers ont été plantés dans les serres, spécifiquement pour cette raison. « Parce que j’ai des copains qui travaillent depuis quelques années là-dessus et ça on sait clairement que les fruitiers ça va permettre d’héberger tous les auxiliaires qui ne peuvent pas passer l’hiver vu qu’il fait trop froid. » Dans l’écorce, au pied de l’arbre, …
La permaculture est créatrice d’emploi
Cette transition de la ferme vers la permaculture implique de diminuer la mécanisation. Mais qui dit moins de machine dit plus d’optimisation, et plus de main d’oeuvre. C’est une reflexion que Florent a du avoir au moment de passer ses serres en msv. « J’ai eu assez peur du financement ». Au final, cette crainte n’était pas fondée. Pendant deux ans il remarque qu’en embauchant plus, il obtient au final le même bilan économique. « Sauf que t’embauches, plutôt que d’utiliser du plastique ou du pétrole. Mais à choisir je préfère embaucher, c’est beaucoup mieux. C’est de la redistribution ».
Florent a aussi réalisé qu’au bout de 10 ans de maraîchage, sur le plan physique, il ne pouvait pas continuer à gérer une ferme tout seul. « Il me fallait des gens pour me soulager et que moi je passe plus sur une partie administrative, prévisionnelle, etc. » C’est dans cet esprit que, depuis 2 ans, Florent a pris un poste comme formateur dans une formation en maraîchage bio.
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“Un des objectifs qu’on avait quand on s’était installés, c’était de démontrer qu’une ferme maraîchère bio peut être viable, faire vivre les maraîchers, et créatrice d’emploi. Ça nous tenait vraiment à cœur de montrer à tous les détracteurs qui disent «De toute façon le maraîchage bio ça marchera jamais et que ça ne fait vivre que peu de gens sur une petite surface», qu’on peut créer de l’emploi.”
Le maraîcher-formateur
Florent enseigne au lycée agricole (CFPPA) de Kerliver à Hanvec auprès d’adultes qui souhaitent s’installer en maraîchage bio. « Ce qu’on attend de moi sur cette formation, c’est le côté professionnel. » Après les cours théoriques, Florent repasse derrière les autres professeurs pour confronter les apprentissages à la réalité du terrain.
Il a remarqué une évolution dans le profil des étudiants ces dernières années. « Avant on était plus sur un profil de gens qui s’orientaient assez vite après le bac, alors que maintenant on est vraiment arrivés sur des reconversions, avec des gens qui ont des diplômes bac+5 bac+6, des ingénieurs, et qui veulent un changement de vie ».
Conseil aux futurs maraîchères et maraîchers
« Si j’avais à refaire je pense que j’aurais commencé plus petit. Et je serais resté plus petit pour essayer de mieux maîtriser tout ça. Parce qu’il ne faut pas oublier que quand on vient pas du milieu agricole, racheter une ferme, un équipement, surtout qu’on est en bio donc souvent ce sont des créations, et ben là où on se plante au départ c’est que ça demande énormément d’argent, donc des prêts. Et après on est tenus par les banques pour produire, et c’est plus toi ton propre patron. Je pense que si c’était à refaire je serais parti sur un maximum d’autonomie. »
C’est son discours face à ses étudiants qui projettent de s’installer. Florent nuance néanmoins ses paroles. « Après c’est très personnel il ya plein d’autres agriculteurs bio qui ne seront pas d’accord. » Mais il préfère conseiller de s’installer sur des petites surfaces, sans prendre de risque financier. Ou bien de faire complètement l’inverse. Reprendre une grosse ferme, employer une vingtaine de salariés et vendre dans des gros circuits. « Là vous vous en tirerez aussi. Mais entre les deux, c’est difficile. »
Son désir d’autonomie ne concerne pas que le rapport aux banques. Florent fait aussi partie de l’association l’Atelier Paysan, qui permet aux agriculteurs de se réapproprier les outils de production.
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Quand on pense formation au maraîchage, on imagine souvent l’aspect technique de la profession : choisir ses semences, construire un tunnel, récolter… Mais il existe une dimension à ne pas négliger, celle de chef d’exploitation. Dans ce premier article nous aborderons les formations diplômantes initiales qui mènent au métier de maraîcher
Les réalités du métier
La plus grande difficulté qu’a rencontré Florent à l’installation, c’est de passer du « doux rêveur » au maraîcher aux multiples compétences. « C’est une sacré charge de travail, très physique. C’est un truc très important pour moi : il faut pas croire que le paysan part le matin avec sa fourche pour aller faire ses récoltes. C’est que derrière, quand on est paysan en vente directe comme ça, ça demande de faire de la comptabilité, de la gestion, de la vente, de la communication, de la soudure, de la mécanique, de la menuiserie, … et ça c’est tout ce qu’il y a à côté de la gestion d’une ferme : les rotations, les commandes de plants, bon je vais pas tout énumérer on a pas fini ! »
Après 14 ans en tant que maraîcher bio, Florent a vu évoluer les règles de l’offre et de la demande. A l’époque, la demande était assez grande par rapport au peu de fournisseurs présents en agriculture biologique. Aujourd’hui les producteurs sont de plus en plus nombreux en bio, « ce qui est une bonne chose ». Mais les choses se compliquent au niveau de la commercialisation. « Parce que les opérateurs avec lesquels on travaille sont de plus en plus exigeants et vont de plus en plus vers les critères des grandes surfaces, en terme de calibrage, en terme de prix, en terme de tout, et on devient de moins en moins concurrentiel ».
Vivre de son métier d’agriculteur bio
Il a donc fait le choix de la vente directe pour essayer d’avoir le maximum de valeur ajoutée. Mais aussi d’avoir le contact avec le client, pour pouvoir expliquer « que le produit qu’on produit ici, en maraîchage sur sol vivant, en prenant bien soin, en choisissant bien nos variétés, que des trucs anciens, sur des critères de qualité, c’est pas le même produit en bio qu’on va retrouver chez Edouard (Leclerc, ndlr) ».
Il y a 3-4 ans, Florent a augmenté tous ses prix. « Je me suis dit soit j’arrête, soit j’augmente et on se rémunère. Parce qu’on est tous engagés on a tous envie que ça se développe mais à un moment être engagés ça suffit plus. Moi ce qui me fait peur, j’ai plein de collègues qui sont en train de laisser tomber, c’est qu’on risque de perdre plein de monde qu’avait plein de volonté, envie de faire des belles choses, mais à force de pas avoir de reconnaissance, et ben c’est des gens qui vont arrêter. Et derrière ça va être repris par des grosses boites et je trouve qu’en termes de tissu local, de lien social, c’est quand même très dommage. »
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« On dit parfois que les agriculteurs sont isolés. Moi franchement c’était ma peur, de me sentir isolée dans ce métier là. En fait c’est toi qui crée ton environnement, la ferme reflète notre personnalité. Tout ce qu’on a créé autour, moi je suis contente de ce résultat là. »
En terme d’aides, la Ferme du Fessiou touche le crédit d’impôt en bio. « Parce que j’estime que c’est une aide qui est justifiée au vu des services qu’on rend à la société en terme d’aménagement du territoire, en terme de qualité de l’eau, en terme de plein de choses ». En revanche, Florent ne demande plus les aides PAC depuis l’année dernières. « Je payais plus cher mon comptable pour faire ma déclaration PAC européenne que ce que je touchais d’aides. Donc à un moment, ça n’a plus de sens de demander des aides pour faire tourner une machine ».
Et moi ce que j’aimerais voir changer, c’est voir une prise de conscience que les paysans ne sont pas des esclaves. Et que c’est pas normal qu’on bosse 50-60-70 heures par semaine pour gagner même pas le SMIC. Et encore, en bio on est mieux rémunérés. Il faut quand même savoir que t’as plus d’un tiers des agriculteurs qui sont au RSA. Après on vient nous dire que c’est cher. Bah ouais mais c’est que y’a un problème quelque part. Faut mettre de l’argent dans la nourriture c’est la base.
Le maraîchage diversifié : un enjeu de biodiversité
Les habitudes des consommateurs ont un impact direct sur les cultures, en particulier leurs rotations. Les ventes se font en majorité sur certains légumes. « Donc on se retrouve à faire des rotations où on saute juste une année, et on revient en tomates l’année d’après ». Ce qui n’est pas l’idéal en termes de ravageurs, de maladies ou même de respect du sol. Le même problème se pose avec la carotte. « Il y en a de plus en plus partout, donc les ravageurs arrivent de plus en plus à se multiplier. C’est le fait de la monoculture. Plus on consomme la même chose, plus on développe les risques de maladies, de ravageurs, contre lesquels on n’arrive pas à lutter. C’est un problème de biodiversité. »
Nous avons demandé à Florent comment se sortir de cette situation ? Avoir des cultures de plus en plus diversifiées, ce qui implique de sensibiliser les consommateurs à d’autres façons de cuisiner. Mais aussi développer des variétés naturellement résistantes aux ravageurs. C’est aussi dans cette optique que la Ferme du Fessiou a commencé à produire ses propres graines. En les reproduisant chaque année, ils obtiendront ainsi de plus en plus de variétés bien adaptées au territoire.
Le maraîchage en première ligne des changement climatiques
Le déreglement climatique ne fait aucun doute pour Florent Palicot. Depuis 14 ans qu’il travaille la terre, il a vu le climat évoluer, en particulier ces 3 dernières années. Les périodes de plantation sont chamboulées, le travail de désherbage se complique, et le réchauffement profite aux ravageurs. Il note l’exemple du doryphore, autrefois éradiqué de la région, qui refait son apparition.
Ça m’énerve quand j’entends les gens qui remettent en cause le dérèglement climatique.
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Une fois répertoriés les quelques aléas climatiques, l’adaptation des agricultrices et agriculteurs s’avère nécessaire pour limiter les risques économiques.
Pourtant, la multiplication des expérimentations et des méthodes de fonctionnement pour agir sans aggraver la situation actuelle prend peu à peu le pas.
Le Fessiou, un lieu de vie
Régulièrement des soirées festives sont organisées à la ferme. Et ça ne s’arrêtera peut-être pas là. Florent dit qu’il a le « corps flingué », et va chercher des repreneurs en parrainage pour une partie de l’exploitation. Son rêve est alors de transformer le Fessiou en une Ferme-Auberge, et de renouer avec sa passion pour la cuisine. « Je trouve qu’il y a moyen de cuisiner avec les légumes des choses super. Et j’en ai marre d’aller au resto et d’avoir 30 gr de légumes et 300 gr de viande. Je ne suis pas végétarien, mais moi je prefererai l’inverse. »
On nous dit “Ouais en hiver on a que du chou”. Oui mais avec du chou, on peut faire des choses super !
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Merci Florent pour la franchise de ton exposé. Pour avoir débuté ma carrière dans la gestion agricole je connais très bien les difficulté du retour sur investissement en agriculture, Ce n’est pas nouveau et les agriculteurs bio ou pas sont sous cette pression constante. J’ai l’impression que vous les maraichers bio allez souffrir énormément du fait du nombre déraisonnable de nouvelles installations dans ce secteur et de la pression de la grande distribution sur les prix. Le consommateur modeste va acheter du bio Lidl importé ou du conventionnel.
Bon courage et bravo pour ton enthousiasme…. et préviens bien tes élèves des difficultés qu’ils vont devoir affronter.
Jean
Je découvre cette « voix du maraîcher », cette parole et cet engagement, merci pour ces explications. Je consomme vos produits depuis 10 ans et vous fait confiance pour l’expertise du vivant, basée sur la pratique et l’expérience. La société a besoin de vous, de votre connaissance, de votre sens de l’observation concret, de votre vigilance pour notre bien commun. Merci +++
👍🙏 vous êtes notre présent et notre avenir. Merci bras.
Ch.
Merci +++ et bravo pour cette vidéo ! J’ai adoré vous écouter : on perçoit toutes les compétences que vous avez acquises courageusement, la réflexion très intéressante que vous tirez de l’expérience, … une grande sagesse aussi (déjà !) et une belle franchise ! Vos « élèves » ont vraiment de la chance 🙂