La lutte biologique : une question d’équilibre
Une armée de coccinelles lâchées sous une serre, à l’assaut de myriades de pucerons. C’est l’image que l’on a spontanément en tête à l’évocation de la lutte biologique. Comme son nom ne le laisse pas présager, l’histoire de la lutte biologique a commencé dans l’agriculture conventionnelle. Les lâchers inondatifs d’insectes auxiliaires ont d’abord été expérimentés sous des serres chauffées qui ont l’inconvénient d’offrir des conditions idéales pour le développement des ravageurs. L’idée de faire appel à un auxiliaire pour juguler le développement d’un ravageur a ensuite trouvé tout son sens en agriculture biologique.
La lutte biologique regroupe de nombreuses pratiques visant à protéger les cultures contre des ravageurs (insectes, acariens, nématodes…), des maladies (fongiques, bactériennes, virales…), ou des adventices, grâce à des auxiliaires des cultures. Elle entre dans le cadre de la protection biologique intégrée (PBI), dont l’objectif est d’éviter au maximum d’avoir recours aux produits phytosanitaires. L’un des gros défauts de ces derniers est leur manque de sélectivité. En effet, en cherchant à se débarrasser d’un insecte ravageur, on va aussi éliminer d’autres insectes qui sont quant à eux des auxiliaires des cultures et déséquilibrer l’écosystème.
Avec la protection biologique intégrée, on entre dans une tout autre logique. L’idée n’est pas d’éradiquer le phytophage (organisme qui se nourrit de la plante), mais de limiter sa population afin de rester sous le seuil de nuisibilité. On recherche donc un équilibre écosystémique, au sein duquel les auxiliaires régulent naturellement le développement des ravageurs.
En plein champ : la lutte biologique par conservation
Nous avons rencontré Nathalie Bernard-Griffiths, biologiste spécialisée dans la biodiversité et l’entomologie, fondatrice de Bio-Studies et co-coordinatrice de l’association Les Marteaux du Jardin. Elle préconise une approche long terme : la lutte biologique par conservation. « L’idée est de travailler avec des insectes naturellement présents dans le milieu et de favoriser les aménagements pour eux. »
Cette approche préventive est très adaptée aux cultures de plein champ, où des lâchers d’insectes sont de toutes façons difficilement contrôlables. Il s’agit donc d’encourager le développement d’auxiliaires indigènes, afin qu’ils soient déjà présents à proximité des cultures lorsque les ravageurs font leur apparition.
Cela nécessite de prendre du recul et de réfléchir à son système à plus grande échelle. L’exploitation, voire l’écosystème environnant, et pas seulement la planche attaquée par un insecte nuisible. Plus l’environnement est diversifié et complexe, plus il y a de plantes différentes (cultivées et sauvages, arbres, arbustes), plus le système va abriter d’animaux qui peuvent agir sur les ravageurs, et plus les ravageurs ont du mal à se repérer.
Favoriser le développement des auxiliaires
La première chose à faire, … c’est de laisser faire. Laisser la nature reprendre ses droits à des endroits qui ne gênent pas les maraîcher.ère.s dans son travail : un tas de bois, des herbes folles, un roncier, etc. Ce sont de formidables réservoirs de biodiversité, et donc d’auxiliaires ! C’est encore mieux si ces espaces ensauvagés sont reliés entre eux.
Les haies peuvent être des barrières physiques à certains ravageurs, et toutes leurs strates de végétation sont utiles pour abriter des auxiliaires. Une haie « efficace » en terme de biodiversité fait 4 mètres de large. Là encore, laissons les herbacées pousser au pied des arbres et des arbustes, surtout si des fleurs mellifères s’y trouvent ! La présence des fleurs en bordure de champ ou en bande entre les cultures est très importante. Elles sont source de nourriture pour nombre de ces auxiliaires, aussi bien les pollinisateurs que les protecteurs des cultures. Et, dans la mesure du possible, évitons de trop perturber la vie du sol en paillant ou en laissant un couvert végétal. En effet, des auxiliaires y vivent ou s’y abritent l’hiver !
« Il y a eu de telles injonctions à ce qu’une parcelle soit propre, sans mauvaise herbe, que c’est resté ancré dans l’esprit des producteurs. Ils peuvent passer beaucoup de temps à entretenir, en s’épuisant, en consommant du carburant et en abimant leurs outils, alors que parfois il n’y a pas besoin. Il y a aussi le regard des voisins qui fait qu’ils ne sont pas toujours à l’aise pour, par exemple, laisser se développer un roncier… C’est assez mal vu ! » commente Nathalie Bernard Griffiths.
Le ravageur attire l’auxiliaire
Charles Souillot, de Stratégies Végétales, conseille la mise en place de zones de régulation écologiques, sous la forme de bandes entre les cultures, composées de mélanges d’essences (menthe poivrée, souci, fenouil, bourrache, lotier corniculé…) qui attirent les ravageurs afin qu’ils n’aillent pas sur les cultures. Et qui, en même temps, attirent les insectes auxiliaires, qui y trouvent de quoi se nourrir. Un auxiliaire se développe toujours à température un peu plus chaude qu’un ravageur. Il va donc se développer quand il y a déjà à manger pour lui.
L’introduction d’auxiliaires sous serre
De manière générale, la lutte biologique est adaptée pour la prévention ou la remédiation précoce, mais pas pour un sauvetage en urgence. Il est conseillé d’avoir un plan d’action en début de saison. « Il faut faire des lâchers préventifs systématiques contre les pucerons, acariens et thips, afin que le milieu soit colonisé par l’auxiliaire, quitte à renforcer la lutte avec des lâchers inondatifs si la pression des ravageurs augmente. Pour l’aleurode, on attend de voir les symptômes précoces pour développer la lutte. » préconise Charles Souillot. Il précise également que, lors de l’introduction d’insectes auxiliaires, il faut surveiller la température de la serre. En fonction des espèces, les températures trop froides ou trop chaudes peuvent nuire à leur développement.
Comment savoir s’il faut intervenir ?
Cela demande une expérience des conditions propices à l’apparition des indésirables et du niveau de risque. Le secret, c’est de savoir observer. Reconnaître les ravageurs, bien sûr, déceler les premiers signes d’attaques. Mais aussi les auxiliaires sauvages, qui peuvent être très divers, et essayer d’évaluer leur abondance et leur efficacité contre les indésirables. Parfois, il faut faire confiance et attendre un peu avant d’agir : l’auxiliaire se développe un peu en décalage avec le ravageur. Si le seuil de nuisibilité est atteint, une intervention peut s’avérer nécessaire… C’est un équilibre délicat à trouver : ne pas agir trop vite, mais ne pas intervenir trop tard non plus.
Mais au fait, qui sont les auxiliaires ?
Les auxiliaires peuvent être :
- des vertébrés prédateurs (oiseaux, batraciens, reptiles, petits mammifères insectivores),
- des arthropodes parasitoïdes ou prédateurs (insectes, arachnides.. ),
- des nématodes (petits vers dont certains parasitent des insectes, d’autres des plantes),
- des micro-organismes invisibles à l’oeil nu (champignons, virus, bactéries, protozoaires…).
Ils agissent, soit par prédation, comme les oiseaux ou les araignées ; soit par parasitisme, comme les insectes parasitoïdes, qui pondent en général à l’intérieur d’un insecte hôte afin que leurs larves s’y développent, entraînant la mort de ce dernier.
Pour apprendre à les identifier, les ressources et formations sont nombreuses. Vous trouverez quelques références ci-dessous.
- Fiche technique de l’ITAB « Les auxiliaires communs en cultures légumières biologiques » (les différentes familles d’insectes)
- Fiche du Grab : Favoriser les auxiliaires naturels en agriculture biologique
- Pour apprendre à reconnaître les insectes sauvages: « Les pages entomologiques d’André Lequet »
- Tous les atlas de biodiversité communale
La protection biologique intégrée offre de nombreuses solutions économiquement rentables aux maraîcher.ère.s, tout en étant respectueuse de l’environnement. Elle est en perpétuelle évolution (on découvre de nouveaux auxiliaires chaque année), et permet de voir l’avenir de manière sereine. Alors, observons avec curiosité l’écosystème de nos parcelles, retrouvons notre regard d’enfant et apprenons à reconnaître les insectes qui nous veulent du bien !
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