L’eau : comment s’adapter pour ne pas en manquer

24/06/22

Sécheresse économie d'eau en maraîchage

Si ne peut évidemment pas régler le problème du réchauffement climatique à l’échelle d’une exploitation, il est possible de réfléchir à son système pour s’adapter aux changements et anticiper les évolutions à moyen et long terme. Dans un contexte d’hygrométrie de moins en moins prévisible, nous avons recueilli les conseils de Cloé Hénissart, d’Hortibreiz, et de Charles Souillot, de Stratégies Végétales, pour aller vers plus d’autonomie et de résilience dans l’activité de maraîchage.

Prendre le problème à la racine : le sol

 

Si le sol est particulièrement sec en surface, nous avons tout de même la chance, en Bretagne, qu’il soit resté relativement frais à faible profondeur, jusqu’à présent. Dans les régions où le sol s’assèche davantage, il est nécessaire de l’arroser et de le laisser ressuyer avant de semer ou de planter.

Une première mesure, qui peut être mise en œuvre très rapidement pour conserver un minimum d’humidité dans les sols, c’est de les couvrir avec un paillage naturel ou synthétique. Cela permet de garder de la fraîcheur dans le sol, de limiter l’évaporation directe, de diminuer le besoin en main d’œuvre pour le désherbage et surtout d’atténuer l’évapotranspiration des sols par l’effet desséchant du vent.

À plus long terme, le compost et l’enrichissement du sol en matière organique apporte des nutriments à la terre et permet de retenir l’humidité dans le complexe argilo-humique. Il est donc possible d’augmenter progressivement la réserve utile du sol. Il joue alors pleinement son rôle de stockage des eaux vertes, afin de les restituer aux végétaux en fonction de leurs besoins, ce qui favorise l’autonomie pour le système dans son ensemble.

Actuellement, les besoins en eau des plantes sont importants. Elles sont en pleine croissance, les faibles précipitations n’ont pas suffi pour la plupart des légumes et l’irrigation s’est rapidement révélée nécessaire pour assurer leur bon développement. Les cultures qui n’ont pas reçu d’apport d’eau exogène ont montré des signes de stress hydrique : retards de croissance, régressions, ou montées en graines. Mais pour irriguer, encore faut-il avoir accès à des ressources en eau !

 

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Le pilotage de l’irrigation est un enjeu majeur dans la conduite de cultures, afin de préserver rendement et qualité. L’objectif est de trouver le juste équilibre entre le ni trop, ni trop peu… Voici quelques conseils pour optimiser la gestion de l’eau.

 

Identifier des ressources fiables

 

S’il est possible d’identifier une nappe souterraine avec un débit suffisant et à une profondeur correcte, alors un forage est un investissement très intéressant pour sécuriser la ressource en eau. Le niveau des nappes peut tout de même diminuer, en fonction de variations saisonnières, où des prélèvements d’autres usagers. Plus le forage est profond, moins les variations seront importantes.

Des bassins peuvent aussi être mis en place afin de stocker les eaux de toitures ou l’eau d’une source existante. Pour les installations comportant une grande surface de toitures, telles que les serres, par exemple, la récupération des eaux pluviales peut assurer une certaine autonomie en eau. Le principe est simple : on raccorde les gouttières d’une toiture à un bassin ou un tank de stockage d’eau à proximité. L’inconvénient des bassins est l’évaporation importante de l’eau stockée en surface, phénomène accentué par les fortes chaleurs actuelles.

L’idéal est d’avoir accès à une réserve naturelle (accompagnée d’une filtration semi-automatique pour réduire la main d’œuvre de nettoyage du filtre). Le prélèvement dans les milieux naturels tels que les cours d’eau, les lacs et les étangs sont moins sécurisés, car ils sont soumis à autorisation, et peuvent rapidement faire l’objet de restrictions, surtout dans un contexte de sécheresses récurrentes.

Enfin, l’eau du réseau potable a un coût important, et est la première source à faire l’objet de restrictions importantes en cas de sécheresse.

 

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Préparer son système d’irrigation

Que ce soit sous abri ou au champ, l’irrigation des légumes est incontournable dans les exploitations maraîchères. Lors de l’élaboration de son système, il est nécessaire de se pencher sur plusieurs paramètres. Voici quelles sont les principales étapes de raisonnement.

 

Bien estimer ses besoins en eau

 

Pour Cloé Hénissart, « Réduire sa consommation d’eau c’est aussi mieux gérer l’utilisation de cette ressource. Pour irriguer intelligemment ses cultures il faut dans un premier temps connaître leurs besoins réels. »

L’idée générale est d’utiliser l’eau d’hiver pour irriguer pendant le printemps et l’été. Les stratégies à mettre en place vont beaucoup dépendre du lieu où l’on s’installe : s’il n’y a pas de nappes ou qu’elles sont trop profondes, il est d’autant plus important de mettre en place la récupération des eaux de pluie.

Pour une exploitation maraîchère d’un hectare comprenant 1000 m2 d’abris, on estime les besoins annuels d’irrigation à 2000 m3 (1500 m3 dans les zones les plus pluvieuses). Cela permet de couvrir 100% des besoins en eau sous serre, et 20% des besoins des cultures de plein champ.

Partant de ces chiffres, si l’on récupère les eaux pluviales des 1000 m2 de toiture de cet abri, et qu’il pleut en moyenne 800 mm sur l’année, on peut récupérer 800 m3, ce qui représente à peine la moitié du besoin en irrigation annuel du système.

Ce sont des estimations basées sur les observations réalisées ces 10 dernières années en Bretagne. Elles sont bien-sûr à réévaluer actuellement du fait de la faible pluviométrie du printemps : l’impact de l’irrigation sur le rendement n’en sera que plus important cette année. Ce type de calcul permet d’estimer les besoins en eau du système et de mettre en place les stratégies et les investissements adaptés aux besoins de chaque exploitation maraîchère.

Les besoins sont aussi à mettre en perspective en fonction des stratégies de production : une production centrée sur les marchés touristiques d’été sera fortement dépendante de la performance de son système d’irrigation, tandis que les productions de printemps et d’automne en seront moins dépendantes, en général.

 

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Irriguer avec parcimonie et efficacité

 

Les recommandations du gouvernement en cette période de sécheresse envers les agriculteurs sont assez évidentes : établir des tours d’irrigation, utiliser un matériel hydro-économe, et opter pour des cultures qui exigent moins d’eau.

En ce qui concerne le matériel d’irrigation, le système doit être réfléchi en fonction des besoins et des particularités de chaque exploitation. En général, l’installation ne permet pas de tout irriguer en même temps : les tours d’eau sont donc assez naturellement mis en place par les professionnels. En contexte de restrictions, il est judicieux de réfléchir à un système assez robuste pour revenir régulièrement sur les mêmes cultures même si l’irrigation est limitée à 4 ou 5h par jour.

Charles Souillot recommande d’irriguer de 5h du matin à 10h ou 11h. En effet, irriguer pendant les heures chaudes augmente la transpiration des plantes, ce qui est très mal supporté par certaines cultures. De plus, si l’irrigation est faite par aspersion en pleine journée, 50% de l’eau s’évapore ! Si la sécheresse et la chaleur s’accentuent, il est possible que des restrictions horaires soient mises en place, et qu’il ne soit pas autorisé d’irriguer après 8h ou 9h du matin.

L’irrigation nocturne a quant à elle tendance à faire stagner l’humidité, favorisant le développement de maladies cryptogamiques, surtout si l’irrigation est aérienne. C’est moins significatif pour l’irrigation au goutte-à-goutte. Cette dernière a également l’intérêt d’être beaucoup plus économe en eau que l’aspersion, car elle humidifie directement le sol, sans évaporation.

Cloé Hénissart recommande d’économiser l’eau grâce à l’irrigation intelligente.

 

Economiser l’eau grâce à l’irrigation intelligente

 

On combine deux technologies. La première prélève les données d’état des sols et les interprète, l’autre permet d’agir en conséquence en commandant l’irrigation à distance.

Dans un premier temps, on collecte les données :

  • Station météo
  • Données d’état de santé du circuit d’irrigation (capteur de pression sur le réseau pour détecter d’éventuelles fuites)
  • Analyse de l’état du sol et des cultures (Sonde de température, d’hygrométrie et de conductivité du sol, capteur humectation foliaire, capteur gel)

Puis on organise et on optimise l’irrigation grâce à des programmateurs connectés.

Les récents programmateurs connectés sur le marché permettent via des applications sur mobile d’organiser et d’optimiser à distance leur irrigation en fonction des caractéristiques du réseau et de la capacité de la pompe. Ainsi, l’irrigation est effectuée par zone et au juste besoin des cultures.

Les stations météo connectées et autres capteurs permettent de piloter l’irrigation en fonction des données prélevées. Les sondes connectées (capacitives ou tensiométriques) sont des dispositifs très intéressants car elles permettent de connaître l’évolution du taux d’humidité, de la température et de la conductivité dans le sol. Toutes ces données permettent d’anticiper le moment idéal pour irriguer.

Protéger les cultures du rayonnement

 

Face à un ensoleillement important, il est important de surveiller le climat dans les serres, cela joue aussi beaucoup sur les besoins d’irrigation. De plus en plus de maraîchers blanchissent les serres pour protéger les plantes ou ont recours aux voiles d’ombrage

Cette fonction d’ombrage des cultures plus vulnérables est bien pensée et agroforesterie. En effet, les strates hautes (arbres) diminuent le rayonnement sur les strates basses (herbacées), ce qui limite l’évaporation de l’eau. L’agroforesterie a largement fait ses preuves en climat aride, permettant, par l’ombrage et l’enrichissement du sol en matière organique, de réaliser d’importantes économies d’eau. 

Ce n’est pas une pratique de première intention pour le climat océanique breton, mais les impacts prévisibles à moyen et long terme du réchauffement climatique rendent les systèmes agroforestiers de plus en plus pertinents. Sans parler d’une tendance de fond, des initiatives se développent en la matière sur notre territoire. Par définition, il faut laisser le temps aux écosystèmes agroforestiers de s’installer afin de pouvoir observer les résultats et juger de la pertinence de ces modèles localement : rendez-vous dans une dizaine d’années pour un premier bilan !

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Article rédigé par Marie Geffroy - Le 24 juin 2022

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